mardi 26 avril 2011

MÉLI-MÉLO

La soudaine montée dans les sondages du NPD en laisse plusieurs (surtout les experts patentés) pantois.

Pourtant, quand on y regarde de plus près, on se rend compte que c’est un phénomène qui n’a rien d’un mystère.

Il s’explique d’abord par le fait que le discours du Bloc sur la défense des intérêts du Québec – discours qui, au fil des ans, a pris la forme d’une ritournelle rabâchée en boucle – a beaucoup perdu de son efficience chez les électeurs.

À partir du moment où la souveraineté n’est pas, dans un avenir prévisible, un enjeu politique (je veux dire qu’il n’y a pas de référendum à l’horizon), les «intérêts du Québec» et les «valeurs québécoises», tels que définis par le Bloc ne constituent pas l’unique façon de voir les choses. C’est une vision de la société et de l’économie qui ne fait pas l’unanimité.

De plus en plus, une large proportion de la population québécoise n’adhère pas aux belles certitudes et au système de valeurs du Bloc en matière d’intérêts collectifs.

En fait, depuis l’arrivée de Duceppe à la tête du parti, celui-ci s’est ancré résolument à gauche. Il est devenu écolo pur et dur (son porte-parole, B. Bigras, est un hystérique carbonique); socialo-étatique à tous crins; dépensier sans mesure; racoleur des brigades islamistes; pacifiste irresponsable; copain-copain avec les corporatismes syndicaux. Ce n’est pas uniquement la montréalisation du parti (une lacune identifiée dans un rapport interne) qui explique la désaffection d’une partie de l’électorat à l’égard du Bloc, mais c’est également son ancrage sans vergogne à gauche.

(Petite parenthèse : le PQ, lui aussi, a pris la même direction. Il n’a pas réussi à se «recentrer», comme nous l’annonçait Pauline Marois. Il s’est lui aussi fortement incrusté à gauche de l’échiquier politique.)

Devant une pareille dérive de la mouvance souverainiste, quel est le sentiment, pensez-vous, de ceux qui, comme moi, se situent au centre et à droite du spectre politique? Ils se sentent orphelins! C’est cette partie de l’électorat que Jacques Parizeau et les ténors du PQ (tel Bernard Drainville) cherchent à ramener au bercail. Pas sûr que cette fois-ci, ça réussisse!

Et c’est dans ce contexte que se place la remontée du NPD dans l’opinion.

Dans les rencontres familiales de Pâques, ce fut évidemment un des sujets de conversation (l’autre étant la série Canadiens-Bruins).

J’ai pu alors constater la confusion la plus totale régnant dans les esprits.

Certains de mes interlocuteurs envisageaient de voter NPD! Ah! Oui! Et pourquoi? Leur demandais-je. La réponse était généralement rudimentaire, pour ne pas dire superficielle : Jack Layton est un homme sympathique et convivial! Ah! Bon! Mais encore! Savez-vous, leur disais-je, que le NPD est le parti le plus centralisateur de l’univers politique canadien? Et que c’est un parti résolument socialiste? Réponse : « Euh! »

Ma réplique finale était : si votre choix, c’est de voter à gauche, continuez donc de voter Bloc! Moi, je ne veux plus voter à gauche! Alors, je ne vote plus Bloc (pour la première fois)! Et, forcément, je ne voterai certainement pas NPD! Un peu de cohérence, que diable!

Mais dans mes conversations pascales, j’ai pu constater combien la campagne de diabolisation de Stephen Harper, fort bien relayée par les médias et la faune journalistique, avait eu de l’effet sur les esprits.

Le jugement péremptoire que j’ai le plus entendu est le suivant : « Harper n’est pas démocrate! Il est dangereux! » Tiens! Tiens! Pas démocrate, hein? Et en quoi, leur répliquais-je, n’est-il pas démocrate? Après le renversement de son gouvernement, il n’a pas pourtant pas fait de coup d’état! Et s’il n’est pas réélu, croyez-vous qu’il a des troupes en réserve pour s’emparer du Pouvoir et instaurer une dictature? N’ayant que des borborygmes comme réponse, je sentais que, dans leur tête, l’image de Harper en tyran s’effilochait !

Vraiment, cette défroque de despote fasciste que ses adversaires (et surtout le Bloc) lui ont mise sur le dos, c’est le dispositif de propagande le plus dégueulasse que j’ai vu dans une campagne électorale au Canada.

Et c’est sans doute grâce à cette obscénité, faisant de M. Harper un repoussoir dégoûtant, que le Bloc va réussir à conserver une bonne cohorte de députés.

Jacques Brassard

lundi 18 avril 2011

REMARQUES SUR LA CAMPAGNE ÉLECTORALE FÉDÉRALE

Il faut bien que je fasse un effort pour à tout le moins faire semblant de m’intéresser à la campagne électorale fédérale. Après tout, ne suis-je pas un citoyen…canadien?

Passons vite sur les débats. Pour la simple raison que je les ai à peine regardés. J’arrivais du Sud et je ne parvenais pas à trouver le courage requis pour me taper ce qui m’apparaissait comme une pénible corvée.

J’ai pu remarquer cependant (comme bien des commentateurs) que pour ce qui est du débat en français, Gilles Duceppe avait été nettement favorisé. Pas parce que les trois autres chefs de partis maîtrisaient moins bien le français. Mais tout simplement parce que les questions choisies constituaient presque toutes, par le plus curieux des hasards, pour employer une image de l’animateur radio Sylvain Bouchard, de belles « passes sur la palette » permettant aisément à Duceppe de toucher le fond du filet. Comme les deux passes de Gomez à Gionta lors du premier match Canadiens-Bruins.

Gilles Duceppe a donc pu poursuivre son entreprise de diabolisation de Stephen Harper. Une opération amorcée dès l’arrivée de Harper sur la scène politique fédérale.

Stephen Harper, s’il faut en croire le chef du Bloc, est un danger public, un crypto-fasciste anti-démocratique, un destructeur de la Planète, un militariste belliqueux, un ami d’Israël, un allié servile des États-Unis, une gestionnaire avaricieux, bref Belzébuth en personne!

Personnellement, ce genre de tactique me répugne. Mais ça permet toutefois de faire ressortir la nature véritable du Bloc québécois, un parti qui adhère aux valeurs de la gauche écolo-étatiste. Lorsque j’étais chroniqueur au Quotidien, j’avais osé écrire que le Bloc, au fond, était un clone du NPD. Ce qui m’avait valu de sévères remontrances de la part des leaders du Bloc!

Je pense toujours que j’avais raison. Il est vrai que le Bloc articule son discours sur les « valeurs québécoises ». Mais lorsqu’on s’efforce de bien identifier ces valeurs dites québécoises, on se doit de constater que ce sont en réalité les valeurs de la gauche, toutes qualifiées bien sûr de « progressistes ».

Mathieu Bock-Côté, dans un texte publié dans la Presse, prend soin d’ailleurs de les énumérer : « valorisation de la Charte des droits et sacralisation des valeurs progressistes comme l’intercultularisme, le féminisme, la social-démocratie, l’approche préventive en matière de criminalité, le pacifisme, et, dans certains cas, l’altermondialisme ». J’y ajouterais l’écologisme réchauffiste.

Et Mathieu Bock-Côté de spécifier que « ces valeurs étaient moins celles du Québec que celles des élites technocratiques, syndicales, communautaires et intellectuelles qui forment la base militante du modèle québécois ».

Et, comme il y a deux ans, je ne parviens toujours pas à m’identifier pleinement à ces valeurs promues et défendues par le Bloc. Il est évident -- les billets de mon blogue en témoignent – que je ne me situe pas à gauche de l’échiquier politique. Dans ces conditions, comment puis-je être enclin à voter pour le parti de Gilles Duceppe? Ce n’est certainement pas l’appui des centrales syndicales qui va m’y inciter. En fait, la seule raison qui m’a amené à voter Bloc auparavant, c’est le fait qu’il était souverainiste.

Enfin, j’ai été, moi aussi, à la fois choqué et traumatisé, par l’appui formel accordé en 2008 par le Bloc à une coalition dirigée par Stéphane Dion et comprenant également le NPD (le parti socialiste du Canada).

« Ce qu’a fait ressortir cette entente historique, explique l’historien Éric Bédard, c’est le socle intellectuel que partagent trudeauistes et bloquistes : même discours moralisateur sur les affaires du monde; même inter/multiculturalisme négateur de l’histoire; même foi aveugle dans un État omniscient et dépensier. »

Le Bloc regrette-t-il cette alliance contre-nature? Pas du tout! « Le Bloc, nous apprend une résolution adoptée au dernier Congrès, se réserve la possibilité de soutenir une coalition de partis politiques ».

Et à voir Gilles Duceppe cogner à bras raccourcis sur Stephen Harper et son parti, on peut d’ores et déjà conclure que l’éventuelle coalition n’inclura certes pas le parti Conservateur! Elle comprendra donc les mêmes formations qu’en 2008. Pétrifiant!

Comme Éric Bédard, j’ai toujours voté Bloc. Les dernières fois, cependant, …à reculons!

Cette fois-ci, que vais-je faire?

Il y a trois options.

Soit, je vote encore Bloc, mais à contrecoeur, car je suis en désaccord avec plusieurs de ses positions de gauche (étatisme gaspilleur, écologisme débridé, pacifisme angélique, défense butée et irrationnelle du registre des armes à feu, copinage tiers-mondiste avec des organisations islamistes) et je n’adhère pas à sa stratégie de coalition;

Soit, j’annule mon vote;

Et soit je vote Conservateur, étant d’accord avec plusieurs des positions et politiques du Gouvernement Harper (sur les changements climatiques, les relations avec nos voisins américains, l’ONU, Israël, l’exploitation des ressources naturelles et la gestion des finances publiques).

Et je ne vous révèle pas quel sera mon choix. Après tout, le vote, c’est secret!! Devinez!

Jacques Brassard

lundi 11 avril 2011

UNE ENTREVUE AVEC CARL BERGERON

Me voilà de retour de la Riviera Maya. Et comme la campagne électorale fédérale ne m'inspire pas beaucoup, vous trouverez ci-dessous, plutôt que des banalités sur une confrontation politique d'une grande platitude, une entrevue que j'avais accordée il y a deux ans à Carl Bergeron, un de ces jeunes intellectuels québécois qui ne sont pas englués dans la bien-pensance et la rectitude politique. L'entrevue avait paru sur son blogue, L'Intelligence Conséquente. Ceux, parmi mes lecteurs, qui s'étonnent souvent (et s'indignent même) des changements survenus dans ma façon de voir les choses, y trouveront des réponses à leurs questions. Vous n'êtes pas tenus d'adhérer aux propos élogieux (un peu trop sans doute) de M. Bergeron.

ENTREVUE



Jacques Brassard est une personnalité incontournable de l’histoire politique québécoise. Impliqué au PQ dès la fondation du parti en 1968, il fut élu député sous cette bannière dans le comté de Lac-Saint-Jean en 1976. Il devint ministre du Loisir, de la Chasse et de la Pêche sous Lévesque et Johnson, avant de devenir whip en chef de l’Opposition officielle de 1985 à 1994, tout en participant de près aux travaux de la Commission Bélanger-Campeau sur l’avenir constitutionnel du Québec en 1990-1991. De retour au pouvoir avec le PQ en 1994 sous Parizeau, il aura la charge de plusieurs portefeuilles ministériels, dont celui, sulfureux, des Affaires intergouvernementales canadiennes en plein tumulte post-référendaire, de 1996 à 1998. Dans la foulée du départ de Lucien Bouchard, il démissionne comme député et ministre en janvier 2002.



Depuis, il est chroniqueur pour le Quotidien, où il se démarque par une plume incisive, qui révèle au public une sensibilité conservatrice occultée par des décennies d’engagement souverainiste. Que ce soit par ses opinions sur Israël et les États-Unis, sur l’écologisme ou le dogmatisme du politiquement correct, Jacques Brassard rompt avec le consensus progressiste québécois et propose une autre façon – plus lucide, plus courageuse - d’aborder la réalité politique québécoise. Retiré de la vie politique, il ne continue pas moins à y contribuer de manière significative.



L’Intelligence conséquente s’est récemment entretenu avec lui.







L’Intelligence conséquente : Jacques Brassard, ceux qui vous lisent se demandent spontanément une question : considérant vos idées, vos convictions de plus en plus affirmées dans les pages du Quotidien, comment avez-vous pu travailler si longtemps au sein d’un Parti Québécois qui a cessé depuis un bon moment, il me semble, d’être une coalition de nationalistes pour devenir d’abord et avant tout un parti de gauche ? Était-ce parce que vous pensiez encore la souveraineté atteignable à court terme ou est-ce tout simplement parce que votre départ du pouvoir vous a permis de mettre à jour vos convictions, de les revisiter pour mieux les affirmer ?

Jacques Brassard : Bien sûr que j’ai changé. Sur le plan intellectuel, il va sans dire. Et cela est normal, à moins d’être un robot équipé d’un unique logiciel. À 20 ans, en 1960, j’étais gauchiste, fasciné par la Révolution à l’instar des héros de Malraux, et séduit par la fabuleuse « mécanique » marxiste. D’ailleurs, il y a toute une section de ma bibliothèque contenant les vestiges de cette époque : Marx, Lénine, Mao, Guevara, Fanon, ainsi que toute la collection de Parti pris, une revue québécoise marxiste. Je ne lis plus aucun de ces livres, mais je les garde comme des artéfacts de mon passé.



J’ai bien vite constaté que le socialisme, en s’incarnant dans des États communistes, devenait une terrible calamité économique et sociale, engendrait la misère et se révélait congénitalement liberticide. L’Archipel du goulag me purgea l’esprit de tout le bataclan marxiste-léniniste. Et aujourd’hui encore, connaissant l’horrible bilan du communisme (100 millions de victimes), je n’arrive pas à comprendre que des jeunes altermondialistes et de vieux gauchistes soient encore envoûtés par ce bric-à-brac idéologique. C’est ahurissant !



Je suis donc devenu social-démocrate derrière René Lévesque à qui je vouais une admiration sans borne. J’étais, comme on disait à l’époque, un « lévesquiste » inconditionnel. Et c’est au moment de l’opération « Déficit zéro », avec Lucien Bouchard, que j’ai pris conscience que la social-démocratie pratiquée depuis 40 ans avait engendré un État-mammouth surprotecteur (une sorte de « nounou »), un État interventionniste tous azimuts, surendetté et nous faisant porter le plus lourd fardeau fiscal en Amérique. C’est à ce moment que j’ai compris que le terme « progressisme », ce qualificatif considéré dans toute la gauche comme étant plein de noblesse, de grandeur et de compassion, signifiait en réalité « étatisme ». Et qu’il n’avait pas grand chose à voir — pas toujours, du moins – avec le progrès réel.



Avec la retraite, j’ai eu le temps et la liberté de revisiter, comme vous dites, mes convictions. De les approfondir aussi. En fréquentant les grands penseurs libéraux (Hayek, Von Mises, Revel, Tocqueville, Pascal Salin, etc.), mais aussi les néo-conservateurs (Guy Millière et Yves Roucaute, par exemple).







L’I. C. : Vous le répétez souvent, le Québec est entravé sur le plan technocratique et bureaucratique. L’État semble de plus en plus décidé à contrôler tous les aspects de nos vies. Une des conséquences de cette manie réglementaire est d’étouffer la croissance économique québécoise, ce dont les régions du Québec sont les premières victimes. Croyez-vous qu’il soit possible pour le Québec de se déprendre du social-étatisme ? Voyez-vous un tel jour arriver avant que nous n’y soyons forcés par une crise qui prendrait la forme d’un choc assez brutal avec le réel et ses lois économiques fondamentales ?

J. B. : J’affirme, même si ça déplaît à mes amis péquistes, que nous sommes allés trop loin dans le voie de l’étatisme, ou de ce que vous appelez le « techno-progressisme ». Cette propension, considérée comme hautement honorable, à élargir le champ d’action de l’État, affecte tous les partis depuis des décennies. Incluant le Parti Libéral, qui n’a de libéral que le nom, car il s’agit d’un parti social-démocrate tout comme le Parti Québécois. Toutefois, ce dernier l’est davantage puisque sa culture est toute imprégnée d’une grande dévotion envers l’État et aussi d’une méfiance systématique à l’endroit de l’économie de marché et de l’entreprise privée. L’ADQ n’est pas contaminé par ce culte du « tout-à-l’État », il est vrai, mais comme ce parti n’est pas près d’accéder au pouvoir, il y a peu de chance de voir bientôt l’État subir une vraie cure minceur…



Peut-on, me demandez-vous, se « déprendre du social-étatisme » ? Il y a bien quelques lueurs d’espoir : amorce d’une action contre la dette publique ; baisse du fardeau fiscal ; découverte par le PQ de l’importance centrale de « la création de la richesse ». Mais les résistances demeurent fortes au sein de toute la classe politique. On le constate, par exemple, lorsqu’il est question de la place du privé dans le système de santé. À l’exception encore une fois de Mario Dumont, la classe politique monte vite aux barricades pour défendre le monopole d’État quasi soviétique en cette matière. Pourra-t-on un jour s’extirper de cette mélasse social-étatiste, qui porte l’étiquette séduisante de « progressisme » ? Je le souhaite mais, comme dirait Achille Talon, un doute m’assaille !







L’I. C. : L’ingénierie sociale n’est pas qu’un problème économique. Nous voyons depuis plusieurs années le gouvernement multiplier les entreprises d’ingénierie morale et identitaire au nom de la tolérance, de l’ouverture à l’autre, ce qui nous a conduits à reconstruire la famille en dehors de son modèle traditionnel et à multiplier les campagnes de sensibilisation pour discréditer tous les comportements sociaux traditionnels. Le gouvernement, au nom du bien vivre, du bien manger, du bien aimer, du bien faire l’amour, nous matraque avec sa morale égalitariste sans aucun égards pour une certaine décence, et sans respect non plus pour l’héritage judéo-chrétien du Québec. Regardez-vous avec inquiétude cette volonté de reprogrammer tous les comportements sociaux pour les conformer à la morale soixante-huitarde ? Ou croyez-vous que les vieilles valeurs durent longtemps et qu’elles sauront résister au progressisme moral ?



J. B. : Les vieilles valeurs et la morale judéo-chrétienne sont toujours présentes au sein du peuple. Ces valeurs morales sont au cœur, rappelons-le, de la civilisation occidentale. Mais, partout en Occident (donc au Québec aussi), chez les élites intellectuelles et la classe politique, le relativisme moral et culturel contamine tout. Tout est confondu, le Bien et le Mal, le Vrai et le Faux, et tout est justifiable : le fanatisme, l’extrémisme, l’à-plat-ventrisme, l’obscurantisme, la reddition. Même le terrorisme bénéficie de l’indulgence des progressistes car il est engendré, n’est-ce pas, par la misère. Ce qui est faux, mais de faire semblant de le croire justifie la complaisance à son égard. Rappelons-nous Pierre Falardeau se drapant dans les drapeaux du Hezbollah.



Le plus déplorable et le plus inquiétant, c’est que notre système d’éducation est infesté par cette idéologie relativiste. Le plus bel exemple, c’est le cours d’Éthique et de culture religieuse qui sera bientôt enseigné dans nos écoles. Le jeune et brillant intellectuel Mathieu Bock-Côté a bien raison de le qualifier « d’utopisme malfaisant ». « Certains esprits cocasses, écrit-il (et je suis bien d’accord avec lui), se réjouissent de la laïcisation de l’école alors qu’on s’apprête à la confier pour de bon à un nouveau clergé, au service de la religion multiculturelle avec ses dogmes et son catéchisme ». Cette nouvelle religion, qui s’enseigne déjà dans nos écoles, consiste en une macédoine socialo-écolo-pacifiste assaisonnée d’altermondialisme et de haine de soi — je veux dire d’exécration de la civilisation occidentale. Je constate chez mes petits-enfants l’adhésion à cette religion post-moderne. On n’est pas sorti du bois !







L’I. C. : Vous ciblez souvent les écologistes, qui semblent vos ennemis prioritaires. Vous n’hésitez pas d’ailleurs à reconnaître dans l’écologisme une forme de religion séculière, toute vouée à la mère Gaïa, et qui trouverait la présence humaine bien encombrante pour l’avenir de la planète. Au nom d’un monde repeint en vert, on semble bien décidés à limiter considérablement les libertés humaines, désormais contradictoires avec le « développement durable », la lutte au « réchauffement climatique » ou tout simplement avec la « survie de la planète ». Croyez-vous qu’il y ait dans l’écologisme les germes d’un nouveau totalitarisme ?



J. B. : L’écologie, qui se voulait une science nouvelle, ayant comme objet l’étude des écosystèmes, a dégénéré en écologisme, le « isme » révélant qu’elle s’est transmuée en idéologie. Le cœur de cette idéologie, c’est le culte que nous devons vouer à Mère-Nature, la Gaïa de Lovelock. Et là aussi, le relativisme domine, en ce sens qu’au sein de la biosphère toutes les espèces se valent et sont sur le même pied. L’espèce humaine n’a pas plus d’importance que les autres, elle n’est pas plus importante que la limace ou le lichen. C’est toutefois une espèce nuisible et malfaisante dont il convient de contrôler les actes et de contraindre les mauvais penchants, et qu’il est impérieux d’assujettir à des gourous détenteurs d’un diplôme de sauveurs patentés de la planète.



Quand on observe les comportements et les revendications de la mouvance verdoyante, il est légitime de craindre la mise en place d’un État écolo. Il serait, je vous l’assure, tout aussi totalitaire que les États fascistes et communistes d’autrefois. Au nom de la préservation de la Nature, les vils humains que nous sommes seraient écrasés sous une chape de plomb de lois, de règlements, de directives, de contraintes, d’interdits, de sanctions, de remontrances, de punitions. Bref, un régime tout aussi liberticide que les régimes communistes. Il y a au cœur de l’idéologie écolo une profonde détestation de l’être humain. Il pourrait même y avoir, au sein d’un État écolo, des « camps de rééducation » pour nous apprendre à consommer moins d’eau, à ne pas manger de hamburgers et à retenir notre respiration pour produire moins de CO2. Ne confions surtout pas l’État aux écolos ! Il est vrai qu’ils ne sont pas près d’accéder au pouvoir, mais leur idéologie est devenue, à bien des égards, la pensée unique en Occident. On le voit à la façon dont on traite – comme des parias ! – les sceptiques du réchauffement anthropique. N’oublions jamais ce que nous disait Jean-François Revel : « Toute idéologie est un égarement… C’est une construction a priori, élaborée en amont et au mépris des faits et des droits, c’est le contraire à la fois de la science et de la philosophie, de la religion et de la morale. » Et, je le répète, l’idéologie écolo est tout aussi dangereuse que l’idéologie marxiste-léniniste.







L’I. C. : L’anti-américanisme mine le Québec. Il s’accompagne plus souvent qu’autrement d’une complaisance désarmante envers la « cause » palestinienne, sans aucune considération pour la situation pourtant difficile d’Israël. Comment expliquez-vous cette forme de pensée radicalement anti-occidentale ? Y voyez-vous une forme de mauvaise conscience qui ruinerait secrètement notre société ? Où y reconnaissez-vous le symptôme d’une élite dévorée par l’idéologie anti-occidentale et négligeant cette réalité bien simple : le Québec s’enracine dans la civilisation occidentale et devrait avoir une certaine sympathie pour les autres nations qui composent cette civilisation.



J. B. : Quand vous dites que « le Québec s’enracine dans la civilisation occidentale et devrait avoir une certaine sympathie pour les autres nations qui composent cette civilisation », vous énoncez une évidence. Alors, comment se fait-il que la haine de cette civilisation – à laquelle nous appartenons — soit si dominante chez nos élites intellectuelles et artistiques de même que dans l’univers médiatique et la classe politique ? Cette haine de soi est-elle un symptôme de déclin et de pourrissement ? On pourrait le croire, surtout quand on voit qu’elle est à la fois plus intense et plus pathologique lorsqu’elle a pour objet les deux nations, États-Unis et Israël, qui mènent courageusement le combat contre les forces destructrices anti-occidentales. « Mauvaise conscience », dites-vous ? Sans doute ! Mais aussi une dérive idéologique tout aussi dangereuse que la dérive socialo-marxiste. Le Palestinien a remplacé le Prolétaire comme incarnation exemplaire de l’Opprimé et de la Victime. Il convient donc de voler à son secours en métamorphosant Israël en agresseur alors qu’il est, depuis 60 ans, l’agressé. Il faut vraiment être aveuglé par la haine de l’Occident et un anti-américanisme démentiel pour se laisser ainsi manipuler par la propagande islamo- palestinienne.



« Partout où nous tournons nos regards sur les cinq continents, écrit le philosophe Yves Roucaute dans La puissance de la liberté, je vois la même haine. Quelle conscience peut s’étourdir à ce point de ses chimères pour ne pas voir l’universalité du terrorisme ? La réalité de la Quatrième Guerre mondiale ? Et la nécessité de l’affronter sans attendre. » Heureusement, les États-Unis d’Amérique ont compris, après le 11 septembre 2001, qu’une autre guerre mondiale venait d’éclater. Elle avait cependant commencé bien avant l’effondrement des tours jumelles de New York, mais le président Clinton l’avait ignorée. Le président Bush, lui, aura eu le mérite de prendre toute la mesure de cette singulière et horrible déclaration de guerre et de désigner l’ennemi sans détour : le terrorisme et l’obscurantisme islamistes dont l’objectif proclamé est la destruction de la civilisation occidentale. Ignorer cette réalité, comme le font les pacifistes et les défaitistes de toutes catégories, c’est contribuer objectivement à l’anéantissement des valeurs et des fondements mêmes de l’Occident. C’est triste à dire, mais « l’esprit de Munich » est toujours bien vivace.







L’I. C. : Vous l’avez souvent constaté : il y a un problème identitaire au Québec, où le multiculturalisme officiel carbure à la négation de l’identité nationale québécoise. Une certaine intelligentsia au pouvoir semble ne reconnaître dans le désir de réaffirmation identitaire qu’une simple manifestation d’intolérance, de xénophobie ; de racisme, même. Vous croyez nécessaire de réaffirmer l’identité nationale québécoise : avez-vous une idée de l’avenue à prendre pour mieux sortir de la mauvaise conscience ? Croyez-vous qu’il soit possible au Québec de parler sérieusement d’immigration ou d’identité sans risquer la disqualification par les censeurs médiatiques ?



J. B. : Dans les cénacles intellos et les tours d’ivoire universitaires, se préoccuper de l’angoisse identitaire des Québécois est considéré comme un réflexe archaïque du plus mauvais goût. Désormais, la nation se doit d’être civique, c’est-à-dire n’avoir comme critères que la citoyenneté et la territorialité. La nation québécoise, selon ces beaux esprits, est donc constituée de tous les citoyens qui habitent le territoire québécois. Point à la ligne. Et n’ayons surtout pas la grossièreté des moyenâgeux en tentant d’introduire dans le concept de nation des critères « ethnique », culturel, patrimonial et historique. Pouah ! Quelle étroitesse d’esprit ! Quelle manque d’ouverture !



Pour moi, le concept de nation civique apparaît sans doute comme très inclusif mais il est d’une grande indigence de contenu. La nation dite ethnique, par contre, est riche de toute la culture et de toute la mémoire d’une collectivité particulière, c’est-à-dire, pour l’essentiel, les descendants des Français enracinés en terre d’Amérique depuis 400 ans. « L’espace culturel québécois, écrit Gérard Bouchard (oui, le commissaire !), n’est pas vierge, il est fortement structuré en vertu d’une dynamique collective vieille de quatre siècles, au sein de laquelle la composante francophone a toujours pesé d’un poids prépondérant en raison à la fois de son nombre, de son ancienneté et de son action vigoureuse. Il est impossible, sociologiquement, que cette composante massive retraite tout à coup des lieux symboliques qu’elle a aménagés au cours de l’histoire (langue, coutumes, symboles et le reste) et renonce en quelque sorte à ce qu’elle est. Il est par conséquent inévitable que la culture commune soit très fortement imprégnée de la vieille culture canadienne-française – et celle-ci n’a pas à s’en excuser. » Un tel point de vue ne me paraît pas très… interculturel ! Il en découle cependant que les nouveaux venus doivent entreprendre une démarche d’intégration à la culture commune dont la prépondérance s’appuie sur quatre siècles d’histoire. Et ultimement, ce devrait être une intégration assimilatrice, rien de moins. Comme aux États-Unis où les enfants et les petits-enfants des immigrants sont devenus des Américains… « pure laine » ou, si l’on veut, « de souche ». Comme en France aussi, où les descendants d’immigrants espagnols, portugais, polonais, italiens, russes, hongrois (comme Sarkozy), etc. sont devenus des Français à part entière. Et si la France est actuellement aux prises, dans des banlieues qui sont des zones de non-droit, avec des masses d’immigrés réfractaires à leur « francisation », c’est tout simplement que le processus d’intégration-assimilation est en panne.



La solution pour le Québec ? Je vous dirais l’Indépendance. Je suis, vous le savez, un vieux séparatiste et je demeure persuadé que pour s’extirper du multiculturalisme (et de l’interculturalisme, ce qui est la même chose) qui constitue un paradigme central du fédéralisme canadien, le Québec doit avoir en mains tous les outils lui permettant de mettre en branle une véritable et efficace politique d’intégration-assimilation des immigrants et de leurs descendants. Et pour avoir la pleine et entière maîtrise d’un tel processus, il est impératif d’être un pays indépendant. C’est ce que pensait d’ailleurs Gérard Bouchard avant d’être nommé co-président de la Commission sur les accommodements raisonnables.